Maladies rares orales ou dentaires : repérage et prise en charge
Alors que les maladies rares continuent d'occasionner une longue errance thérapeutique, les chirurgiens-dentistes peuvent contribuer à repérer les pathologies à expression dentaire et à orienter les patients vers les spécialistes adaptés.

» Et si c’était une maladie rare ? » Le slogan se diffuse parmi les professionnels de santé. Le but : favoriser le diagnostic de ces maladies touchant moins d’un individu sur 2000 alors que l’errance thérapeutique reste trop longue pour bien des patients. En effet, selon l’Alliance maladies rares, pour 25 % des personnes touchées, l’attente d’un diagnostic fiable et précis dure en moyenne quatre ans. Si bien que la réduction de ce délai comptait parmi les objectifs du troisième Plan national maladies rares (PNMR).
Les chirurgiens-dentistes peuvent contribuer à cet effort. Car sur 6000 à 7000 maladies rares, environ 400 à 1000 impactent notamment la sphère dentaire ou orale, estiment les Pr Agnès Bloch, pédodontiste coordinatrice du réseau de maladies rares Orares au CHU de Strasbourg, et Lisa Friedlander, PU-PH à l’université de Paris Cité et responsable du Centre de compétences sur les Maladies rares orales et dentaires sur service d’odontologie du groupe hospitalier de la Pitié Salpêtrière-Charles Foix. Une prévalence telle que » les chirurgiens-dentistes de ville sont forcément confrontés à ces pathologies au cours de leur carrière « , insiste le Pr Bloch. Si bien que la formation au repérage de ces maladies rares se développe. » On essaie, à la faculté, de former les futurs chirurgiens-dentistes au dépistage « , rapporte le Pr Friedlander.
Anomalies dentaires, parodontales ou kystiques
En pratique, plusieurs types d’anomalies bucco-dentaires identifiables au cours d’un examen clinique simple peuvent suggérer une maladie rare. À commencer par des signes purement dentaires : anomalies de la structure des dents (avec un aspect anormal de l’émail ou de la dentine, liées à une dentinogénèse imparfaite), anomalies de la forme des dents ou de leur racine, anomalies du nombre de dents (avec parfois des dents surnuméraires, mais surtout des oligodonties marquées par l’absence de plus de six dents), ou encore anomalies de l’éruption ou de perte des dents. Le Pr Bloch évoque aussi des anomalies de la résorption des dents – « avec des dents comme grignotées, de manière non pas locale mais globale ».
Ces maladies rares peuvent aussi s’exprimer par des troubles du parodonte, notamment des gencives. « Par exemple, certains patients présentent une fibromatose gingivale, avec une gencive épaissie », précise le Pr Deladure-Molla, odontologue pédiatrique et enseignante à l’université de Paris Cité. Une susceptibilité particulière aux maladies parodontales en l’absence de facteurs de risque doit aussi alerter.
Enfin, des anomalies kystiques sont aussi évocatrices. « C’est le cas avec le chérubinisme, marqué par des lésions intra-osseuses », ajoute le Pr Deladure-Molla.
Expression précoce
Dans la plupart des cas, le dépistage et le diagnostic peuvent se faire précocement, dans la petite enfance. Car nombre de maladies rares à expression bucco-dentaire touchent le développement des dents. C’est d’abord le cas des pathologies à expression dentaire. Car selon le Pr Deladure-Molla, la plupart des anomalies touchant les dents permanentes atteignent aussi les dents de lait. « Sauf dans le cas particulier des agénésies, qui peuvent toucher uniquement certaines dents permanentes », nuance-t-elle. Aussi, un premier dépistage des anomalies de structure, de forme et d’éruption des dents peut être réalisé dès l’âge de deux à trois ans. Puis, afin d’identifier d’éventuelles anomalies du nombre des dents, un panoramique dentaire peut être réalisé à partir de 6 ou 7 ans en cas de signes suspects.
Certaines pathologies à expression orale, atteignant le parodonte, peuvent aussi se manifester dès trois à quatre ans. « En cas de maladie parodontale génétique, les tissus de soutien des dents apparaissent fragilisés très précocement du fait de perturbations immunitaires, de la structure du collagène, etc. – et non à l’âge adulte, comme en cas d’étiologie bactérienne classique », explique le Pr Deladure-Molla.
Seules quelques pathologies comme les anomalies kystiques peuvent se manifester plus tardivement – « vers 10 à 15 ans ». « En odontologie, peu de maladies rares s’expriment à l’âge adulte », insiste l’odontologue pédiatrique. La vigilance reste toutefois de mise après l’adolescence, les cas les moins graves pouvant passer longtemps entre les mailles du filet. Ainsi, le syndrome émail-rein – caractérisé par « une amélogénèse imparfaite doublée d’une néphrocalcinose », détaille le Pr Friedlander – demeure souvent diagnostiqué tardivement.
Orienter vers des centres spécialisés
En cas de symptômes suspects, la conduite à tenir consiste à orienter les jeunes patients et leurs proches vers des centres spécialisés. « Les PNMR ont conduit à l’élaboration de filières de prise en charge dans lesquelles les patients susceptibles de présenter des maladies rares à expression orale et dentaire peuvent recevoir un diagnostic et des traitements », indique le Pr Friedlander. Plus précisément, les patients peuvent être adressés à un centre de référence ou à un centre de compétence du réseau national O-Rares.
L’enjeu est d’abord de bien caractériser la pathologie d’un point de vue clinique, et d’identifier d’éventuels symptômes au-delà de la sphère orale et dentaire. « Environ 90 % de ces maladies sont syndromiques », souligne le Pr Friedlander. Et pour cause : « Beaucoup de gènes responsables de la formation des dents sont aussi impliqués dans le développement d’autres organes : peau, squelette, tissu nerveux, etc. », ajoute le Pr Deladure-Molla. Par exemple, la dysplasie ectodermique atteint aussi les cheveux, les ongles, etc. À noter que « forme syndromique » ne veut pas toujours dire « forme grave », en particulier en cas de diagnostic posé sur un point d’appel dentaire. « En cas de maladie des os de verre, associant ostéogénèse et dentinogénèse imparfaites, les formes les plus sévères sont diagnostiquées du fait de nombreuses fractures osseuses – et non face à des dents anormales », rassure le Pr Deladure-Molla.
Un objectif de l’orientation vers les centres spécialisés concerne aussi l’identification de l’étiologie de la maladie. D’après le Pr Friedlander, « pour 80 % des maladies rares à expression dentaire ou orale, un gène responsable est identifié ». Ainsi, des investigations génétiques – qui tendent à se démocratiser – peuvent être proposées. « Le panel géno-dents du CHU de Strasbourg peut interroger à lui seul 700 gènes », avance le Pr Bloch. Le but est aussi de pouvoir délivrer un conseil génétique à l’échelle familiale.
Restaurer le sourire
Au-delà du diagnostic, la finalité est de proposer une prise en charge précoce, en particulier à l’heure où des thérapeutiques étiologiques sont en développement : un essai clinique aurait atteint la phase 3 dans la dysplasie ectodermique, et des médicaments pourraient arriver dans l’hypophosphatasie.Mais surtout, en attendant, des traitements symptomatique complexes – impliquant souvent plusieurs spécialistes – chirurgiens-dentistes, mais aussi orthodontistes et chirurgiens maxillo-faciaux – sont indiqués. Ne serait-ce qu’au niveau purement dentaire, de très nombreuses restaurations sont souvent de mise afin d’améliorer l’alimentation, la phonation et la respiration, mais aussi afin de normaliser le sourire. Par exemple, en cas d’oligodontie, en plus d’un remplacement des dents manquantes par des prothèses, les autres dents, très petites, nécessitent aussi des interventions. De plus, du fait du très jeune âge des patients, nombre de gestes nécessitent d’être répétés au cours de la croissance. Cette prise en charge dentaire relève aussi du secteur ambulatoire, si bien que les chirurgiens-dentistes libéraux apparaissent très susceptibles de voir revenir vers eux certains jeunes malades pour des actes tels que des poses de prothèses dentaires : tous les patients n’ont pas vocation à être soignés à l’hôpital, jugent les spécialistes interrogés.
Au final, les chirurgiens-dentistes de ville ont toute leur place dans le repérage des maladies à expression orale et dentaire et dans l’orientation des patients, mais aussi dans leur prise en charge. À noter toutefois que les relations ville-hôpital demeurent peu fluides. Afin de les faciliter, certains centres de compétence ou de référence invitent les chirurgiens-dentistes de ville à prendre part à leurs réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) – comme à Strasbourg, se félicite le Pr Bloch.
Une autre difficulté concerne le coût des soins. Certes, des dispositifs économiques ont été mis en place pour certaines maladies, comme une ALD31 en cas d’oligodontie. Cependant, la prise en charge financière reste insuffisante dans la majorité des cas. « Par exemple, alors qu’une amélogénèse imparfaite justifie des facettes ou couronnes, 10 000 à 20 000 euros restent souvent à la charge du patient », dénonce le Pr Deladure-Molla. Et en cas d’atteinte de plusieurs enfants de la même famille, les sommes à mobiliser se révèlent particulièrement conséquentes, note le Pr Bloch. Même dans le cas de l’oligodontie, seuls une dizaine d’implants peuvent être remboursés, « et les dentistes de ville ne peuvent pas remplir le formulaire de demande d’ALD », déplore le Pr Friedlander. La Haute Autorité de santé (HAS) aurait été saisie.