Au cœur des incompatibilités fœtomaternelles
Génotypage fœtal non invasif, tests de Kleihauer, quantification d'anticorps... le laboratoire du Centre national de référence en hémobiologie périnatale (CNRHP) est le couteau suisse des tests biologiques visant à caractériser les incompatibilités fœtomaternelles. Le laboratoire traite des cas les plus classiques aux plus rares et mène par ailleurs des activités de recherche et développement de tests en immunohématologie périnatale.

Le laboratoire du CNRHP réalise le dosage pondéral pour les anticorps du système Rhésus anti-D, C, c, E, e
Nous travaillons à l'automatisation de la coloration du test de Kleihauer sur lame et à l'utilisation de l'IA pour faciliter l'interprétation des lames
Avec une équipe de cliniciens spécialisés, le CNRHP a pour mission de prévenir, diagnostiquer, surveiller et traiter les incompatibilités fœtomaternelles. Le centre est chargé de la coordination nationale de la prévention et des soins dans deux domaines importants de la périnatalité : l’immunisation fœto- maternelle antiérythrocytaire et l’ictère néonatal, une des conséquences de cette allo-immunisation (voir encadré).
Son laboratoire est situé à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. Une cinquantaine de personnes y travaille : 6 biologistes, 28 techniciens, 6 agents de réception, 4 secrétaires et 1 cadre de santé. De la biochimie à la biologie moléculaire, en passant par l’immunohématologie, son activité est pluridisciplinaire.
« Nous réalisons l’ensemble des examens d’immunohématologie classiques : détermination du groupe sanguin ABO, Rh(D), phénotypage RH-KEL1, recherche d’agglutinines irrégulières (RAI), test de Coombs direct, etc., notamment pour la maternité de Trousseau », explique la docteure Agnès Mailloux, cheffe du service d’hémobiologie fœtale et périnatale du CNRHP. Et nous réalisons surtout, pour toute la France, l’ensemble des examens immunohématologiques spécialisés nécessaires pour le diagnostic et le suivi des allo-immunisations maternelles. »
Techniques non invasives de génotypage rhésus du fœtus
Le génotypage RHD fœtal à partir du sang circulant de la mère est aujourd’hui pratiqué systématiquement chez les patientes RhD négatif enceintes, soit 15 % de la population, à partir de la onzième semaine d’aménorrhée. Remboursé par la Sécurité sociale depuis 2017, il vise à statuer sur
de l’antigène D chez l’enfant à naitre et permet d’adapter la surveillance des femmes enceintes allo-immunisées présentant un risque d’anémie fœtale sévère ainsi que d’optimiser la prévention de l’allo- immunisation.
Développée depuis une quinzaine d’années, cette technique de biologie moléculaire non invasive a remplacé le génotypage à partir du liquide amniotique, éliminant ainsi les risques liés à l’amniocentèse « et notamment l’activation de l’immunisation maternelle liée au passage d’hématies fœtales dans le sang de la mère, ce qui représente un progrès important dans la prise en charge des allo-immunisations maternelles », souligne la biologiste.
Quelque 5 000 génotypages RHD fœtaux sont ainsi pratiqués chaque année au sein du CNRHP. « Nous déterminons ce génotype par PCR en temps réel, par amplification de 3 exons du gène RHD, mais nous pouvons en tester davantage au besoin en cas de difficulté sur l’interprétation », précise Agnès Mailloux. En France, une vingtaine de laboratoires pratiquent ce test de diagnostic prénatal, soumis à autorisation par l’ARS.
« Par ailleurs, nous réalisons le génotypage fœtal non invasif pour les gènes KEL1, RHc et RHE – soit, au total, environ 400 tests par an », indique la cheffe de service. Ces tests concernent un faible nombre de grossesses, mais ils n’en sont pas moins essentiels : la présence des anticorps dirigés contre les antigènes KEL1, c (RH4) ou E (RH3), chez la mère, entraine un risque d’anémie fœtale sévère. « Un suivi lourd et rapproché est alors nécessaire pour rechercher des signes d’anémie chez le fœtus et le transfuser, si nécessaire », indique-t-elle.
Quantification d’anticorps
Quand un anticorps présentant un risque obstétrical est détecté chez une femme enceinte, sa quantification est recommandée par l’arrêté d’immunohématologie du 15 mai 20181. « Son taux influence le type de surveillance mis en place, souligne la biologiste. Cette quantification peut être faite par titrage ou dosage pondéral en fonction de la spécificité de l’anticorps. »
Toutefois, peu de laboratoires pratiquent actuellement cette quantification, comme l’explique la spécialiste : « La technique de titrage est réalisée par les laboratoires de l’EFS et quelques laboratoires privés, mais nous sommes les seuls, avec l’EFS de Lille, à effectuer ces quantifications par la technique de dosage pondéral pour les anticorps du système rhésus anti-D, C, c, E et e. »
Le laboratoire du CNRHP quantifie également, par titrage sérologique ou par dosage pondéral, les anticorps maternels antipublics (anticorps dirigés contre un antigène de haute fréquence). « Ces cas d’incompatibilité fœtomaternelle restent rares et nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire, la quantification étant un des éléments à prendre en compte pour adapter la prise en charge de ces grossesses », témoigne la docteure Mailloux.
Depuis 5 ans, le laboratoire réalise des études de comparaison entre les techniques manuelles et automatisées de titrage des anticorps (technique manuelle en tube versus en carte gel ou microplaques).
« Dans la littérature scientifique, les seuils décisionnels pour le déclenchement des suivis cliniques des grossesses à risque d’anémie fœtale sévère ont été définis avec la technique manuelle de titrage en tube ; ces seuils peuvent être différents en techniques automatisées (carte gel ou microplaques), avertit la biologiste. Le but des études de comparaison que nous menons est de définir de nouveaux seuils décisionnels en fonction des techniques utilisées. »
Détection et quantification des hémorragies fœtomaternelles
Le test de Kleihauer détecte et quantifie les hématies du fœtus qui sont passées chez la mère, quel que soit son statut rhésus. Son résultat permet de diagnostiquer et d’adapter la prise en charge thérapeutique des hémorragies fœtomaternelles. Il existe deux méthodes : la coloration sur lame (cytochimique sur lame) ou la cytométrie en flux. « Ce test, manuel, peut être difficile à interpréter et demande du personnel formé et entrainé », avertit-elle.
C’est dans cet objectif que le CNRHP élabore et diffuse des recommandations pour sa mise en œuvre technique et l’interprétation clinico-biologique du test de Kleihauer2,3. « Environ 200 laboratoires en France réalisent cet examen, détaille la docteure Mailloux. Le nôtre en réalise quotidiennement une cinquantaine pour des hôpitaux d’Île-de-France. Cet examen étant relativement urgent, nous le réalisons 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Nous traitons également en cytométrie de flux des échantillons adressés par des laboratoires qui n’ont pas pu conclure quant à la présence ou non de cellules fœtales en utilisant des techniques de coloration. »
Dans le cadre de ses activités de recherche et de développement, le laboratoire du CNRHP travaille actuellement à l’automatisation de la coloration du test de Kleihauer sur lame et sur l’utilisation de l’intelligence artificielle pour faciliter l’interprétation des lames, ce qui permettait d’en améliorer la reproductibilité et l’interprétation. « Et nous évaluons également de nouvelles trousses en développement pour la quantification de l’hémorragie fœtomaternelle en cytométrie en flux », indique-t-elle.
« Avec ma collègue, la docteure Cécile Toly-Ndour, biologiste au CNRHP, nous pilotons un groupe de travail avec la Société française de transfusion sanguine (SFTS), dans l’objectif d’émettre des recommandations sur le suivi immunohématologique de la femme enceinte, pour compléter l’arrêté d’immunohématologie de mai 2018, ajoute Agnès Mailloux. Nous espérons publier ces recommandations d’ici 2026. »
Les autres missions du CNRHP
Les missions du CNRHP sont définies dans la circulaire DHOS/DGS no 156 du 29 mars 2004
Le CNRHP a également une activité de conseil, d’enseignement, de recherche et de suivi épidémiologiques. Depuis 2021, le CNRHP a intégré l’activité d’exploration des allo-immunisations plaquettaires, qui couvre aussi bien l’allo- immunisation fœtomaternelle que les problèmes d’auto-immunité. Cette activité relevait auparavant de l’Institut national de transfusion sanguine. Le 15 juillet 2021, le CNRHP a été labellisé par la DGS LBMR pour les pathologies « Diagnostic et suivi anténatal et postnatal des incompatibilités fœtomaternelles » et « Immunisation antiplaquettaire (auto-immunité, allo-immunisation, caractérisation des génotypes plaquettaires rares) ».
En savoir plus : www.cnrhp.fr.
Références
1. Arrêté du 15 mai 2018 fixant les conditions de réalisation des examens de biologie médicale d’immunohématologie érythrocytaire, NOR : SSAP1803010A, JO du 23 mai 2018.
2. Huguet-Jacquot, et al. Revue de biologie médicale. 2022 Apr;365(2):29-39. doi: 10.3917/rbm.365.0029.
3. Huguet-Jacquot, et al. Revue de biologie médicale. 2025 Mar;383(2):5-40. doi: 10.3917/rbm.383.0005.