Acouphènes et émotions :
L’acouphène serait-il un phénomène purement physiologique ? La part liée au subjectif et aux émotions pèserait-elle plus qu’on ne le pense ? Lors du 10e colloque de l’Association francophone des équipes pluridisciplinaires en acouphénologie (Afrépa), qui s’est tenu à Nancy les 6 et 7 septembre 2019, des experts ont apporté des éclairages intéressants et novateurs, notamment à travers l’imagerie cérébrale.

Le professeur Bolmont décrypte la relation entre acouphènes et émotions.
« Globalement, les acouphéniques sont plus anxieux et plus dépressifs que la moyenne de la population »
«L’acouphène a-t-il une origine physiologique ou psychologique ? » Le Pr Benoît Bolmont, enseignant-chercheur à l’université de Lorraine, démarre sa présentation par la question qui est au cœur du débat : le chercheur a analysé une soixantaine d’études parues au cours des 25 dernières années. « Globalement, les acouphéniques sont plus anxieux et plus dépressifs que la moyenne de la population », indique Benoît Bolmont. 50 à 90 % des patients acouphéniques seraient dépressifs. On observe une relation entre l’intensité de l’acouphène et l’anxiété. Le système limbique – siège des émotions – est impliqué.
L’acouphène est souvent consécutif à un événement stressant ou un trauma émotionnel. Aussi, « si l’acouphène est physiologique, il pourrait quand même avoir une origine psychologique », module le chercheur en réponse à sa question initiale.
Conclusions de l’analyse qu’il a réalisé sur les différentes études : l’acouphène entraîne une modification de l’état psychologique qui influe sur son intensité mais, à l’inverse, des modifications psychologiques pourraient déclencher un acouphène probablement préexistant. « Il existe des susceptibilités génétiques. L’anxiété, la dépression, certains traits de personnalité pourraient constituer des facteurs de vulnérabilité », relève le chercheur.
Accompagnement psycho-affectif
Logiquement, une table ronde regroupant plusieurs praticiens évoquant l’accompagnement psycho-affectif des patients a conclu cette séance plénière. Pour le Dr Anne Guillemot-Lacour, psychiatre libéral et membre de l’équipe pluridisciplinaire de Nancy, « l’acouphène n’est pas un symptôme psychiatrique, mais son mode d’expression peut témoigner d’une pathologie psychiatrique ». Le rôle du médecin est d’évaluer un éventuel état dépressif et de traiter celui-ci. Mais la prescription d’antidépresseurs n’est pas simple dans la mesure où ces médicaments peuvent engendrer des acouphènes… De plus, ces prescriptions doivent être accompagnées d’entretiens de psychothérapie. « L’objectif est d’amener le patient à l’acceptation de l’acouphène », fait remarquer le Dr Guillemot-Lacour. Pour cela, les thérapies comportementales et cognitives (TCC) sont efficaces, selon Ivan Quintin, psychologue libéral : « Les TCC peuvent mener à l’orientation attentionnelle, à la relaxation, à la gestion cognitive… »
Praticienne de méditation pleine conscience et relaxation à Nancy, Catherine Frinot évoque « le nombre exponentiel d’études montrant les bienfaits de ces pratiques face aux phénomènes anxieux et dépressifs ». Pour le Dr Marc Ounnoughene, psychiatre et psychothérapeute, « la prise en charge d’un patient acouphénique associe psycho-éducation, réduction du stress et, enfin, habituation ».
Toutefois, il faut éviter certains pièges, comme celui d’entraîner dans une thérapie comportementale un patient souffrant d’un neurinome acoustique non diagnostiqué. Autre écueil à éviter : les patients psychotiques, pour lesquels ce type de thérapies est contre-indiqué, et les personnes dépressives, chez qui la dépression doit d’abord être traitée.
Modérateur de cette séance, le Dr Nicolas Boulanger, ORL à Nancy, rappelle qu’il faut proposer l’appareillage prothétique et valoriser un discours commun dans une équipe pluridisciplinaire, pour faire rempart au nomadisme médical, souvent pratiqué par les patients acouphèniques.