Apport de la chirurgie plastique parodontale dans la réalisation d’un bridge collé cantilever 

Aujourd’hui, la place des bridges collés à une ailette dans notre arsenal thérapeutique n’est plus à prouver. Il s’agit d’une thérapeutique fiable et reproductible qui doit être considérée comme la solution de choix dans les édentements unitaires antérieurs (1). Afin d’optimiser l’intégration esthétique du bridge collé, un travail d’ovalisation de la muqueuse est le plus souvent réalisé pour permettre une émergence naturelle du pontique.

Dans ces contextes d’édentement antérieur, il est fréquent de retrouver une concavité alvéolaire associée qui, lorsqu’elle n’est pas prise en compte, peut entraver le résultat de notre restauration. Au travers d’un cas clinique, nous allons donc voir comment la chirurgie plastique parodontale permet l’amélioration de nos résultats sur le plan esthétique.

Une patiente de 63 ans se présente en consultation pour une réhabilitation implantaire du secteur antérieur mandibulaire. La patiente présente une agénésie des dents 31 et 41 qui étaient remplacées par une prothèse amovible partielle (Fig.1). La patiente n’étant plus satisfaite sur le plan esthétique comme fonctionnel, elle souhaite désormais une solution de remplacement fixe. Cette dernière nous rapporte avoir consulté préalablement un premier chirurgien-dentiste qui lui aurait proposé une greffe osseuse et un implant.

 

Situation clinique initiale

Fig.1 : Situation clinique initiale.

Prise de décision thérapeutique

Après discussion avec la patiente, cette dernière est à la recherche de l’alternative la plus rapide possible et la moins invasive, de plus elle refuse catégoriquement d’entreprendre un traitement orthodontique. Une analyse clinique et radiographique est menée afin de guider nos choix. La patiente ne présente aucun problème de santé, ne suit pas de traitement médicamenteux et ne fume pas.

Les dents adjacentes sont saines et l’émail est intégralement préservé, l’analyse de l’occlusion ne met pas en évidence d’interférence particulière. Sur le plan radiologique, la mise en évidence d’un défaut vestibulaire nécessitant une reconstruction osseuse n’est pas en faveur de la thérapeutique implantaire.

Nous décidons alors de nous orienter vers la solution la plus facile et la plus rapide en termes de réalisation et qui répondra parfaitement aux attentes de notre patiente. Nous retrouvons cliniquement la présence de ce défaut vestibulaire (Fig.2) mis en évidence radiologiquement.

Défaut mucco-gingival

Fig.2 : Vue occlusale mettant en avant le défaut muco-gingival.

Pour une intégration optimale de notre restauration, un aménagement muco-gingival est nécessaire. En effet, il n’est pas rare dans ces situations d’agénésies de retrouver une importante concavité vestibulaire, alors une simple ovalisation crestale ne sera pas suffisante. Sans gestion préalable, ces concavités vestibulaires aboutiraient à un résultat esthétique décevant avec une émergence de la dent qui ne serait pas naturelle. En accord avec la patiente, nous décidons donc de réaliser une chirurgie plastique par tunnelisation avant de débuter les étapes de prothèse (2).

Gestion des tissus mous

La patiente présente un phénotype gingival fin avec peu de hauteur de gencive kératinisée. Les dents 32 et 42 présentent des récessions de type 2 selon Cairo (3) avec une quantité importante de tartre supra-gingival en proximal. Après une séance de débridement supra-gingival, nous passons à l’étape de la chirurgie. Il s’agit ici d’une chirurgie plastique par tunnelisation, l’objectif est de tunneliser 32 et 42 afin de corriger le défaut vestibulaire.

La préparation du tunnel est initiée à l’aide d’une micro-lame chirurgicale, il est important d’avoir recours à une instrumentation spécifique afin de gérer au mieux la concavité ; sur cette zone le décollement est complexe et le risque de perforation du lambeau est élevé.
Un greffon épithélio conjonctif est prélevé au palais puis désépithélialisé (Fig.3), nous cherchons à conserver une certaine épaisseur afin de donner un maximum de volume au futur site receveur.

Prélèvement palatin d'un greffon

Fig.3 : Prélèvement palatin d’un greffon épithélio-conjonctif.

La mise en place d’une protection palatine est indispensable à l’hémostase et à la réduction des suites postopératoires. Dans ce cas, nous avons réalisé une protection à l’aide d’une éponge de collagène noyée dans du composite fluide comme le décrit Ricardo Kern.
Le greffon est validé (Fig.4) puis glissé dans le tunnel des fils de sutures et l’ensemble est maintenu par des points suspendus autour des dents 32 et 42.

Validation du greffon

Fig.4 : Validation de la taille et de la morphologie du greffon.

À un mois, la cicatrisation est complète et le volume gagné est satisfaisant (Fig.5).

Situation postopératoire

Fig.5 : Situation à 10 jours postopératoires après la dépose des sutures.

Pour parfaire l’intégration de la future restauration, nous réalisons une légère ovalisation de la crête à l’aide d’une fraise boule (Fig.6) afin d’obtenir le contour gingival souhaité. Une gouttière thermoformée avec une dent du commerce est remise à la patiente pour 4 à 6 semaines (4).

pontique en vue du bridge collé cantilever

Fig.6 : Aménagement du pontique.

Mise en œuvre du bridge collé

Après avoir optimisé la gestion des tissus mous, nous pouvons débuter la préparation du bridge collé en lui-même. Concernant le choix du matériau, deux possibilités s’offrent à nous, le choix d’un bridge collé en zircone, comme décrit par Mathias Kern, ou la vitrocéramique renforcée en disilicate de lithium. L’objectif de ce travail ne repose pas sur le choix du biomatériau, dans ce cas clinique nous avons fait le choix de la vitrocéramique renforcée pour ses propriétés optiques et son aptitude au collage (5). Par ailleurs en 2013, Sailer et Hammerle rapportent un taux de survie de 100 % à 6 ans (6).

Cette préparation est linguale et se veut le plus amélaire possible afin d’optimiser les valeurs d’adhérences (Fig.7).

Préparation de la dent pour le bridge cantilever

Fig.7 : Préparation de la dent.

Les Drs Gil Tirlet et Jean-Pierre Attal ont estimé comme nécessaire une surface d’au moins 12 mm2 ainsi qu’une épaisseur de 0,7 mm (5). Nous avons donc suivi les recommandations des auteurs pour notre préparation en réalisant un macropuits de centrage au milieu de la face linguale pour faciliter le positionnement du futur bridge collé.
Concernant la prise de teinte, l’utilisation d’un filtre permet d’éliminer les reflets spéculaires liés à l’émail et facilite ainsi notre choix (Fig.8). Le bridge collé en vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium a été réalisé par le laboratoire Bertin-LSO.

Lumière polarisée pour la prise de teinte pour le bridge collé cantilever

Fig.8 : Photographie en lumière polarisée pour la prise de teinte.

Après validation sur le modèle de travail puis en bouche, nous sommes donc passés aux étapes de collage. Le traitement des surfaces dentaires est réalisé de manière classique à l’aide d’un adhésif universel qui est utilisé selon un protocole MR2.

 Traitement de la vitrocéramique

Le traitement de la vitrocéramique est réalisé selon un protocole bien connu également (Fig.9).

–  Mordançage à l’acide fluorhydrique pendant 20 secondes.

– Traitement d’un éventuel sur-mordançage et élimination des porosités avec l’acide orthophosphorique.

– Application de silane pendant 180 secondes, puis application d’une source de chaleur pour les 60 dernières secondes.

– Application d’une fine couche d’adhésif non polymérisé.

Pièce vitrocéramique du bridge collé cantilever

Fig.9 : Préparation au collage de la pièce en vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium.

 

Le collage a été réalisé sous digue à l’aide d’une colle sans potentiel adhésif et à prise duale, ici Nx3 de Kerr. Une clé de repositionnement a été réalisée par le laboratoire pour faciliter le positionnement et éviter « l’aquaplanning » lors du collage (Fig.10).

 

Positionnement du bridge collé

Fig.10 : Positionnement du bridge collé à l’aide d’une clé.

 

En fin de séance, l’occlusion doit être parfaitement réglée pour ne pas solliciter de manière excessive le bridge collé :

– répartition uniforme des contacts en occlusion statique.

– pas de contact au niveau de l’extension en occlusion dynamique.

Après le collage, on observe une bonne intégration du bridge sur le plan esthétique, la patiente est pleinement satisfaite (Fig.11 et 12). À noter que nous avions fait le choix de laisser les embrasures ouvertes pour faciliter le passage des brossettes et permettre une maintenance optimale.

Situation après collage du bridge collé cantilever

Fig.11 : Situation immédiate après collage du bridge collé.

vue latérale du bridge collé cantilever

Fig.12 : Intégration et émergence naturelle du bridge collé en vue latérale.

Discussion

Comme dans de nombreuses situations cliniques dans le secteur antérieur, le bridge collé mono-ailette a permis de répondre parfaitement à nos besoins et à ceux de la patiente. Il s’agit d’une solution qui devrait être envisagée de manière systématique dans le secteur esthétique dans les cas d’édentement unitaire.

Une bonne gestion des tissus mous est un prérequis nécessaire pour une bonne intégration esthétique du bridge collé. Cependant, il est assez fréquent que le praticien ou le patient se refuse à un aménagement muco-gingival préalable ce qui peut avoir un impact très négatif sur le résultat esthétique.

Ici, le cas d’une jeune patiente de 19 ans adressée par son orthodontiste en fin de traitement afin de remplacer les dents 12 et 22 pour cause d’agénésie. Lors de la présentation du plan de traitement, cette jeune patiente a préféré ne pas réaliser de greffe de conjonctif préalable et nous nous sommes limités au travail d’ovalisation de la crête.

Bien que le résultat soit satisfaisant, il reste perfectible, la présence de concavités au niveau vestibulaire entraîne une émergence bien moins naturelle de nos restaurations (Fig.13). La réalisation d’une greffe de conjonctif enfoui aurait permis d’améliorer nettement le résultat sur le plan esthétique. Dans le cas d’un défaut léger, il est aussi possible d’envisager une approche moins invasive comme la technique du rouleau (7).

Patiente bridge collé cantilever

Fig.13 : Patiente avec des bridges collés 12-22 sans aménagement muco-gingival préalable.

Conclusion

Il est désormais admis que les bridges collés cantilever sont la solution de choix pour la prise en charge des édentements unitaires antérieurs. Pour certains cas une ovalisation au niveau de la crête permet d’obtenir une émergence naturelle et donc un résultat esthétique satisfaisant.

Parfois, le défaut à corriger est sévère, dès lors, la chirurgie plastique parodontale devient une étape préalable cruciale. Le remodelage des tissus mous permet de créer un cadre idéal pour notre future restauration. Le cas clinique présenté met en évidence l’intérêt d’une bonne analyse de la situation clinique ainsi qu’une approche chirurgicale adaptée pour optimiser le succès clinique des bridges collés.

Auteur

Matthieu DELOLME

bridge collé cantilever

Pratique privée

Chef de clinique des universités – assistant hospitalier sous-section parodontologie

Ancien interne des hôpitaux de Bordeaux

DU d’esthétique buccale de la faculté de Nice

Correspondance :  delolme.matthieu@icloud.com – 32 rue Médéric 75017 Paris

 

Bibliographie

1. Kern M, Sasse M. Ten-year survival of anterior all-ceramic resin-bonded fixed dental prostheses. J. Adhes Dent. oct 2011;13(5):40710.

2. Zuhr O, Rebele SF, Thalmair T, Fickl S, Hürzeler MB. A modified suture technique for plastic periodontal and implant surgery–the double-crossed suture. Eur J Esthet Dent Off J Eur Acad Esthet Dent. 2009;4(4):33847.

3. Cairo F, Nieri M, Cincinelli S, Mervelt J, Pagliaro U. The interproximal clinical attachment level to classify gingival recessions and predict root coverage outcomes: an explorative and reliability study. J Clin Periodontol. juill 2011;38(7):6616.

4. Gil Tirlet, Ivry-sur-Seine MCU – Paris, Jean-Pierre Attal, Paris. Paru dans Réalités Cliniques n°1 – 15 mars 2015 (p. 25-34). Le cantilever : une nouvelle géométrie pour les bridges collés. L’Information Dentaire. 2019 (www.information-dentaire.fr/formations/le-cantilever-une-nouvelle-geometrie-pour-les-bridges-colles/)

5. Tirlet G, Attal JP. Les bridges collés cantilever en vitro-céramique renforcée au disilicate de lithium Raisons du choix et mise en œuvre clinique. Réalités Clin 2015;26;35-46.

6. Sailer I, Hämmerle CHF. Zirconia ceramic single-retainer resin-bonded fixed dental prostheses (RBFDPs) after 4 years of clinical service: a retrospective clinical and volumetric study. Int J Periodontics Restorative Dent. 2014;34(3):33343.

7. Scharf DR, Tarnow DP. Modified roll technique for localized alveolar ridge augmentation. Int J Periodontics Restorative Dent. 1992;12(5):41525.