Travailler en famille : un jeu d’enfant ?

14 %. Soit un couple sur sept se forme au travail. Pour être précis 12 % se sont rencontrés sur leur lieu d’exercice et 2 % dans un environnement lié comme un séminaire, un salon ou un colloque. Problème : la règle fonctionne dans les deux sens ! 11 % des personnes en couple ont mis fin à leur relation après avoir rencontré quelqu’un d’autre sur leur lieu de travail. Les relations amoureuses au sein du milieu professionnel sont donc fréquentes, principalement en raison du temps considérable que nous y passons. Soulignons néanmoins que l’environnement spécifique des cabinets dentaires favorise les rapprochements… Les chirurgiens-dentistes et leurs assistant(e)s, du fait de leur proximité physique constante, peuvent développer des liens étroits. Sans barrières émotionnelles, ce voisinage peut rapidement évoluer vers une relation amoureuse naissante… « Noëlie était mon assistante avant de devenir aussi ma compagne. Nous avons passé des centaines d’heures au fauteuil ensemble. Notre relation devenant durable, nous avons choisi de mettre une certaine distance physique entre nous. Elle s’est formée pour devenir l’une des cadres administratives du cabinet », raconte sans tabou le Dr Cédric Buoro à la tête du « Pôle endodontie 31 » situé à Toulouse. Aujourd’hui ils ne se voient quasiment plus en journée et se retrouvent seulement le soir à la maison. Parlent-ils boulot ? « Oui, il n’y a pas d’interdiction, on débriefe nos journées comme la plupart des couples. Nos enfants sont là pour nous rappeler à l’ordre si on s’éternise trop ! » Cédric et Noëlie parviennent à établir une séparation nette entre leur relation privée et professionnelle. « Nous savons tous les deux que c’est un impératif pour ne pas tout mélanger. Dès le départ, nous avons été convaincus d’une chose : il y avait tout à gagner à bien s’entendre. Le risque potentiel d’une séparation ne nous a pas enlevé l’envie de tenter cette aventure. » Et de fait, les avantages sont nombreux : planning partagé, compréhension mutuelle des impératifs et des difficultés de l’autre, optimisation du temps, etc. « J’ai bien conscience que des conflits peuvent un jour apparaître, il faudra parvenir à les désamorcer. La communication reste la clef de cette bonne entente. Nous sommes transparents l’un avec l’autre et n’hésitons pas à aborder les sujets potentiellement délicats. »

Une aventure commune

Si 67 % des Français rejettent l’idée d’une relation amoureuse au sein de l’entreprise, 33 % admettent avoir déjà entretenu une relation avec un collègue. Chez les chirurgiens-dentistes, les couples unis sur le terrain privé et professionnel sont légion. Beaucoup d’entre eux se sont rencontrés sur les bancs de la faculté avant de décider de partager un cabinet. Cette décision comporte des avantages financiers évidents, ainsi qu’une plus grande quantité de temps passé ensemble. Toutefois, reconnaissons que cette alliance présente également des risques, notamment l’invasion potentielle de la sphère privée ou les perturbations que des problèmes relationnels pourraient causer au sein du cabinet. Sauf qu’il ne s’agit que de risques potentiels que certains praticiens n’hésitent pas à affronter. Quitte à ce qu’une association soit considérée comme un mariage entre deux praticiens, autant la faire avec son épouse… C’est en substance ce que les Drs Sylvia et Jonathan Gucciardi ont dû penser lorsqu’ils ont pris la décision de créer ensemble leur entreprise à Paris. « On se connaissait déjà dans le travail, nous nous sommes rencontrés dans un cabinet à la Défense. J’avais énormément d’estime pour la qualité de ses soins et son implication. Face aux autres membres de l’équipe, nous n’affichons jamais notre vie privée, elle ne doit pas s’immiscer dans le cadre professionnel », appuie Jonathan. La planification de l’emploi du temps des praticiens sous forme de rotation permet au couple de ne pas se croiser tous les jours sur le plateau. C’est aussi une plus grande facilité pour organiser la vie en dehors du fauteuil. De retour à la maison, faut-il oublier le cabinet pour ne pas se faire envahir par la sphère professionnelle ? « Ce n’est pas un but en soi. Nous partageons le désir de voir notre projet s’épanouir, le sujet a donc sa place chez nous. Avec Sylvia, nous avons un pacte tacite. Chacun doit pouvoir évoluer professionnellement librement, il n’y a aucune forme de hiérarchie entre nous. » Par définition, être parent et chef d’entreprise est une mission délicate. Le couple s’efforce de conserver du temps pour sa famille. Jonathan connaît sa tendance à vouloir travailler « beaucoup et tout le temps pour avoir la sensation de ne pas être sous l’eau ». Alors, il s’impose parfois de lever le pied même si les impératifs liés à la création d’un cabinet le poussent dans le sens inverse.

Chacun dans son domaine de compétences !

C’est avec son compagnon Jordan que le Dr Mélanie Recuero a entrepris son projet ambitieux. La création d’un espace de santé de 600 m² à Ploemeur dédié aux enfants et aux personnes en situation de handicap. « Il s’agit d’un projet commun, une aventure partagée. Lui assure les responsabilités de directeur administratif. Au total, avec les travaux et l’aménagement, nous avons investi 1,2 million d’euros. » Une somme conséquente pour deux jeunes trentenaires qui ont préféré prendre le risque de mener ensemble cette entreprise plutôt que de vivre des expériences professionnelles isolées et peut-être moins palpitantes. Animé par la même passion pour l’entrepreneuriat, le Dr Jean-Jacques Roux a donné vie à une véritable PME à Avignon. Épaulé par son épouse, Sophie, qui assure la gestion administrative et financière de l’établissement, il est à la tête d’un cabinet reconnu pour ses soins en orthodontie. Avant de le rejoindre, Sophie menait une carrière professionnelle indépendamment de son mari, « puis un jour nous avons décidé d’unir nos compétences au sein d’un projet commun ». Au rez-de-chaussée, leurs deux bureaux se font face. Autant dire qu’ils ne cherchent pas à oublier la présence de l’autre… « Chacun a ses missions et n’interfère pas dans les affaires de l’autre. De toute façon, nos compétences spécifiques dans nos domaines respectifs ne nous le permettraient pas. »

Des passions héréditaires

Un autre type de relation familiale est (plus que) fréquent dans les entreprises dentaires : les collaborations ou associations qui unissent des parents et leurs enfants. Le Dr Bernard Cesano exerce à Sisteron. En 2022, sa fille Leslie a été diplômée de la faculté de Marseille et l’a rejoint dans la foulée en tant que collaboratrice. « C’est une joie et une fierté. Je pense qu’elle m’a vu heureux dans ma carrière, du moins je n’ai jamais trop rouspété. Cela a dû l’inspirer. » La jeune diplômée, durant « les années Covid », est consciente de ses carences en clinique en raison de l’absence de certains modules dans les facultés. Elle recherchait alors un cabinet de confiance pour effectuer une première collaboration auprès d’un praticien titulaire présent et disponible. Le parfait profil de son père. « L’esprit qui nous anime est entre le compagnonnage et le tutorat. Elle n’hésite pas à venir me demander un avis et je la conseille. C’est aussi très redynamisant pour moi. Je suis passé d’un quotidien de trente ans d’association avec un confrère plus âgé que moi à une équipe de praticiens de moins de 30 ans. Nous avons une relation de respect mutuel même si nous n’appartenons pas à la même génération. »Dans le même esprit, le Dr Claire Thelliez Leguy est installée à Reims. Constance, sa fille, va bientôt rejoindre l’équipe. Elle connaît déjà toutes les assistantes qui l’ont vue grandir. « Quand elle est au cabinet en même temps que moi, les journées défilent à une allure folle. C’est merveilleux de transmettre son savoir à une personne qui nous est chère. Nous sommes d’accord sur un point. Si nous constatons que des tensions professionnelles apparaissent, nous arrêterons immédiatement pour sauver nos liens familiaux. Pour l’heure ce n’est pas le cas ! » Le discours est-il identique du côté de l’apprenante, Constance ? « Ma mère est la même à la maison et au cabinet, elle est d’humeur égale avec la même bienveillance. Je n’ai jamais redouté les tensions potentielles liées au travail. Nous échangeons beaucoup. Je pense au contraire que cette aventure professionnelle nourrit nos liens familiaux. Le week-end nous tentons de ne pas parler de nos patients. Nous avons même un cahier de liaison au cabinet pour se poser les questions qui peuvent attendre et limiter les interférences dans notre sphère privée. »

Parcours initiatique

Si l’entente au sein des familles Cesano et Thelliez Leguy est placée sous le signe du respect et de la confiance, il peut néanmoins parfois être difficile d’avoir un père ou une mère comme patron. La relation filiale est au cœur du sujet. Elle induit l’existence d’une forme de dépendance et d’autorité entre le parent et son enfant et rend très poreuse la frontière entre le professionnel et l’émotionnel. Il convient de prendre en compte ce fait dès l’origine afin d’éviter que ces deux sphères ne se nuisent réciproquement. Comment ? En encourageant par exemple son enfant à réaliser ses propres expériences avant d’entrer dans l’entreprise familiale. C’est pourtant bien souvent l’inverse que l’on observe. Les praticiens-parents forment leurs enfants en particulier dans les petites structures limitant la possibilité de les laisser acquérir par eux-mêmes des connaissances. D’autant que le fait qu’ils se forment aux nouvelles technologies, qu’ils se dotent de techniques différentes ou simplement de compétences inexistantes au sein du cabinet pourrait in fine être bénéfique pour l’entreprise. Dans la mesure du possible, il est donc préférable de laisser ses enfants vivre une ou plusieurs expériences professionnelles hors de l’entreprise familiale avant de les intégrer. Cela leur permet de se confronter professionnellement à un regard plus objectif que celui d’un parent, d’évoluer et de prendre de l’assurance. Une fois arrivé dans l’entreprise, l’idéal est de donner à sa progéniture des tâches qui peuvent facilement être évaluées afin qu’il puisse faire ses preuves et prendre de l’autonomie. Si la configuration du cabinet le permet, il peut aussi être intéressant qu’il reçoive ses consignes de la part d’une personne de confiance, capable de juger objectivement son travail et de l’aider à progresser. Encore une fois, le but consiste à offrir à l’enfant une forme d’indépendance pour rééquilibrer la relation parent-enfant. C’est aussi une manière, pour lui, d’être légitime auprès des salariés de l’entreprise familiale, notamment s’il est amené à prendre rapidement des responsabilités.

Anticiper la transmission

Posséder une entreprise implique de penser sa succession d’un point de vue patrimonial et pratique. Faut-il vendre sa société à l’extérieur, en répartir la propriété entre les enfants ou la réserver à ceux qui y travaillent ? À qui confier la direction de l’entreprise ? Faut-il tout de suite placer son enfant en situation de commandant de bord avant même son propre départ ? Que faire s’il n’est pas réellement motivé ? Tous les cas de figure existent sans qu’il soit possible de dégager un modèle idéal. En vérité, un seul conseil est à suivre : favoriser un dialogue libre et approfondi sur le sujet en famille. Partir des contraintes et des souhaits de chacun, étudier toutes les solutions de transmission et ne pas chercher à en imposer une qui ne satisferait pas tout le monde. Il y a souvent bien plus d’options que ce que l’on peut imaginer ! Ce qui implique néanmoins de ne pas attendre le dernier moment, celui du départ à la retraite, pour s’organiser. Il est également important de nourrir sa réflexion avec des regards extérieurs – pairs, associations professionnelles, amis, experts… Attention toutefois à ne pas se laisser dicter les modalités de succession par des consultants extérieurs qui n’auraient qu’une approche purement fiscale ou économique. Cela peut conduire à des décisions qui ne prennent pas assez en compte les dimensions humaines et qui risquent d’entacher durablement les relations familiales. Enfin, préparer sa succession à la tête d’une entreprise, c’est apprendre à faire confiance à son enfant dans un cadre professionnel pour parvenir, à terme, à lâcher prise.

Se faire accompagner

Le Dr Hervé Touati installé à Lyon travaille lui aussi avec sa fille Romane depuis 2019. À la question, « Avez-vous eu peur de mélanger votre vie professionnelle et votre vie privée en l’invitant au cabinet ? », la réponse est catégorique. « Non, nous étions en confiance. Nous dissocions naturellement l’environnement de travail et la famille. Nous adoptons une relation de professionnel à professionnelle. » Conscient de la difficulté d’intégrer un membre de sa famille dans une équipe déjà formée, Hervé a fait appel à un coach. Objectif : définir les positionnements de chacun et les attitudes à adopter pour inclure sa fille dans la chorégraphie humaine de son entreprise. « Les choses peuvent se faire naturellement mais on peut aussi les accompagner avec de bons conseils. Sa venue a fait grandir mon management, aujourd’hui nous avons trouvé un équilibre. » Au quotidien, Romane apporte une énergie nouvelle. Son regard extérieur (et décomplexé) génère des pistes d’amélioration en matière d’organisation. « En retour, je lui offre mon savoir-faire. Je pense que ma génération se sentait plus apte à travailler à la sortie de la faculté. Aujourd’hui, certaines lacunes sont notables, je comprends donc pourquoi les jeunes diplômés sont réticents à l’idée de créer un cabinet dès leurs premières années d’exercice. »

Penser aux autres frères et sœurs

Travailler en famille comporte un risque pour la sphère familiale. Les enfants qui ne participent pas à l’entreprise peuvent idéaliser et jalouser une situation qui permet à leur frère ou à leur sœur d’avoir un emploi, un salaire et de partager beaucoup de choses avec leurs parents. Ou, au contraire, ils peuvent être ravis de ne pas travailler avec leurs parents, constatant que cette relation professionnelle empiète trop fortement sur leur relation intime. Dans un cas comme dans l’autre, il est nécessaire de réserver des temps de communication sur l’avenir de l’entreprise en impliquant toute la famille. Les envies doivent être exprimées, discutées, et leurs effets sur l’entreprise et les membres qui y travaillent étudiés. Et ce, régulièrement, car la position de chacun peut évoluer avec le temps. Parallèlement, il faut se fixer des règles et se réserver des moments purement familiaux afin que la vie familiale ne soit pas réduite au travail. Enfin, les enjeux financiers liés à la reprise d’activité d’un parent par l’un des enfants doivent également être abordés. Le danger étant de créer des inégalités de traitement qui deviendraient conflictuelles une fois venu le temps de l’héritage…

Frère-sœur, le binôme gagnant ?

Pour éviter ce danger, la réunion d’une fratrie au sein d’un même cabinet reste la solution idéale ! Jérémie et Anaëlle Delouya exercent à Marseille. Lui est chirurgien-dentiste et propose un large panel de soins allant de l’implantologie à l’esthétique. Elle est orthodontiste. Un tel duo dans un même espace est atypique. En réalité, il faudrait parler de trio. Élisabeth, la mère de cette fratrie exerce aussi en tant que psychothérapeute à la même adresse et propose des prises en charge qui gravitent, notamment, autour de la santé bucco-dentaire et des parafonctions comme la succion du pouce, les phobies, l’anxiété ou l’onychophagie. « Travailler en famille est une réelle source d’épanouissement. Chacun connaît les travers de l’autre mais aussi ses qualités. Nous n’avons jamais vraiment redouté un conflit professionnel qui mettrait à mal nos liens familiaux », explique Anaëlle. En revanche, la praticienne est extrêmement vigilante sur un point. Ne pas laisser penser qu’elle adresse à son frère ou à sa mère en raison de leur filiation. Pour cette raison, Jérémie ou Anaëlle ne se mentionnent respectivement jamais directement mais invitent « à consulter leur chirurgien-dentiste » ou à « aller prendre l’avis d’un orthodontiste ». Si les patients les interpellent sur la possibilité de rester dans les lieux alors les secrétaires prennent le relais. « Lorsqu’Anaëlle a fait l’acquisition du cabinet, l’idée d’une collaboration puis d’une association s’est installée presque naturellement. Durant nos études nous en avions déjà parlé, c’était entre le rêve et la plaisanterie. Nous avons des caractères différents. Elle, est fougueuse ; moi, beaucoup plus tempéré. Nous nous équilibrons. Entre nous, la parole est libre, nous n’hésitons pas à échanger et dévoiler le fond de notre pensée », poursuit Jérémie. Comme le souligne la psychiatre Marie-Claude Gavard dans l’interview ci-contre, « il n’y a pas de modèles standards de binôme qui assurent une harmonie durable dans le temps sur un terrain professionnel, tout dépend de la structure psychologique des deux parties ». C’est donc dire qu’il n’y a pas non plus de modèles voués à l’échec. Alors, si vous pensez, par principe, que cette aventure familiale n’est pas faite pour vous, peut-être le moment est-il venu d’y repenser.

Taux de divorce : les chirurgiens-dentistes bons derniers

Selon une étude britannique menée par le journal The Daily Telegraph, le métier que l’on pratique pourrait influencer nos risques de divorcer. Avec un taux de 43,05 %, ce sont les danseurs et les chorégraphes qui remportent la première place du palmarès des divorces. Ils sont suivis des barmans avec 38,43 % et des kinésithérapeutes avec 38,22 %. En bas du classement, les opticiens, dentistes, pasteurs, podologues affichent un taux de divorce oscillant entre 2 % et 7 %.

Couple : 1 + 1 = 3

Travailler en couple sereinement exige de nombreuses conditions et notamment celle que chacun puisse se réaliser indépendamment de l’autre, pour que la troisième entité, le couple, puisse exister. 1 + 1 doit être égal à 3.

« Un couple a besoin d’oxygène »

Dr Marie-Claude Gavard, psychiatre et psychothérapeute, autrice de l’ouvrage 60 clés pour réussir son couple

Existe-t-il, dans le domaine de la psychiatrie, des modèles standards de couple qui fonctionnent ?

Rappelons en préambule un postulat. Nous sommes tous névrosés. Par conséquent, un couple qui fonctionne revient à dire qu’il s’agit de deux névroses qui parviennent à s’accorder, à trouver un équilibre. Pour pousser le raisonnement à son paroxysme, un couple sadomasochiste pourrait être considéré comme un système social qui fonctionne. Il n’y a donc pas de modèles standards de couples qui assureraient une harmonie durable dans le temps, tout dépend de la structure psychologique des deux parties.

Quel regard portez-vous sur les couples qui choisissent de partager leur univers professionnel ?

Si le couple est fusionnel, ce peut être une aventure commune formidable. Les deux parties se passionnent pour les mêmes défis professionnels et apprécient de les ramener à la maison pour continuer à les faire vivre. Tout va bien donc. Cependant, bien souvent le couple se nourrit aussi des activités distinctes de l’un et de l’autre. Le soir, on partage son quotidien, on demande l’avis de son conjoint, on déverse ses émotions, etc. Or, cela n’est plus possible lorsque l’autre partage le même univers professionnel, la sensation d’être « en dehors » de son travail n’existe plus.

Comment y remédier ?

Un couple a besoin d’oxygène. Il peut donc être opportun de cultiver des activités hors du couple pour soi-même, mais aussi pour les partager ensuite avec son partenaire. Nous cultivons tous des identités différentes en fonction des contextes. Un individu n’adopte pas les mêmes comportements dans les sphères privées, amicales, professionnelles, etc. Cette pluralité peut être libératrice de certaines émotions que l’on peut plus ou moins faire vivre dans chacun des contextes. Un chef d’entreprise peut laisser de côté sa casquette de leader lorsqu’il fait du sport avec ses amis.

Qu’en est-il des relations filiales ?

Là encore il n’y a pas de modèles de réussite prédéfinis. On peut néanmoins penser qu’un enfant étouffé de conseils trop fortement appuyés durant toute son adolescence pourra plus vite se sentir brimé dans une relation professionnelle avec l’un de ses parents. Le passé et les émotions enfouies resurgiront. À l’inverse, un enfant élevé dans un climat de confiance où l’autonomie et les choix individuels ont été valorisés sera sans doute plus enclin à construire une relation professionnelle d’égal à égal avec son parent.

Une bonne entente dans la sphère privée est-elle garante d’une bonne entente professionnelle ?

Pas du tout. Les rôles acceptés par les uns dans un contexte peuvent ne plus l’être ailleurs. Un enfant pourrait refuser de se voir infantiliser par sa mère dans une entreprise là où il ne dirait rien dans la maison familiale pour une même remarque… Un mari pourrait exiger que son épouse adopte un autre ton lorsqu’elle s’adresse à lui devant des salariés, etc. Les théâtres où s’expriment des relations sociales étant différents, les comportements de chacun le sont aussi.

Est-il possible d’envisager une séparation seulement dans l’une des deux sphères partagées ?

Oui car l’impossible n’existe pas. Mais il s’agit tout de même d’une situation délicate… Parvenir à distinguer l’univers professionnel et privé lorsqu’ils ont été fusionnés plusieurs années se révèle être un vrai défi. Cela sous-entend que les deux parties soient parfaitement sur la même longueur d’onde, sans partager de griefs l’un envers l’autre ; en quelque sorte détachés l’un de l’autre. Or, s’il y a eu aventure commune, c’est que les liens étaient étroits et imbriqués.

Bibliographie

Travailler en famille avec plaisir, Anne Juvanteny, Intereditions, 2016

La petite entreprise au péril de la famille ?, Laurent Amiotte-Suchet, Presses universitaires de Franche-Comté, 2017

Travailler en famille : Réflexion en 3 étapes pour savoir si l’entreprise est faite pour vous, Noémie Keime, AFNIL 2021