Éducation fonctionnelle : le rôle clé des omnipraticiens
À l’âge de 2 ou de 3 ans, « sept enfants sur dix présentent déjà des troubles de la croissance bucco-dentaire », selon le Pr Michel Limme. Le lien entre la croissance du maxillaire, la base du crâne et les fonctions oro-faciales (mastication, ventilation, déglutition) n’est plus à démontrer. L’éducation fonctionnelle permet un traitement préventif en agissant sur les fonctions et la posture. Objectif : intervenir sur la croissance et les causes des désordres dentaires plutôt que sur les conséquences. Comme l’expliquait feu Dr Daniel Rollet : « C’est une forme d’interception des malocclusions, qui permet de corriger les dysfonctions et de neutraliser les parafonctions de la sphère oro-faciale, pour donner la possibilité à la croissance de s’exprimer sans contrainte. Elle améliore la ventilation, la déglutition, la mastication et la posture, procurant un bien-être au patient, ainsi qu’un pré-alignement dentaire garant d’une meilleure image de lui-même. » L’omnipraticien joue un rôle clé dans cette stratégie puisqu’il est souvent le premier à croiser les jeunes enfants à l’occasion de l’examen bucco-dentaire des 3 ans.
Ne pas s’autocensurer
Depuis 2006, la HAS (Haute autorité de santé) inclut dans ses recommandations le bilan des dysmorphoses dento-maxillo-faciales : « Eu égard à la gravité de la pathologie et sa prévalence dans la population jeune, il est important de diagnostiquer précocement les dysmorphoses pour qu’elles ne s’aggravent pas avec la croissance en l’absence de traitement, et pour éviter une dégradation de la qualité de vie chez le jeune adulte. » Les chiffres sont éloquents : 68 à 93 % de malocclusions chez les enfants de 5 à 8 ans, soit plus de 1,5 million d’enfants à traiter précocement en France. Dépister les dysfonctions (troubles de la déglutition, de la mastication, ventilation buccale, déséquilibre musculaire, interposition perturbant la fermeture des mâchoires, déséquilibres musculaires) puis les traiter, revêt donc une importance capitale. Le Dr Joël Gipch, chirurgien-dentiste et formateur en éducation fonctionnelle, dresse le constat suivant : « Beaucoup d’omnipraticiens pensent ne pas avoir le droit d’avoir recours à l’éducation fonctionnelle, ils sont pourtant tout à fait légitimes ! De plus, on ne peut pas nuire avec cette technique. » Le professionnel de santé peut décider de débuter un traitement d’éducation fonctionnelle dès l’âge de 2 ou de 3 ans lorsque des parafonctions existent. Pour le Dr Marie Dacquin, pédodontiste à Marseille et formatrice à l’Union française pour la santé bucco-Dentaire (UFSBD), « il est important d’agir sur la denture de lait sans attendre ! Et ainsi de permettre aux enfants de développer une croissance bucco-dentaire harmonieuse et efficace ».
Se former
Si la formation est indispensable pour savoir dépister et intervenir de façon adaptée, « techniquement il n’y a rien de compliqué. Il faut juste être organisé », explique Dr Gipch. La prise en charge se découpe ainsi : prise de photos, prescription de radios, demande à la Sécurité sociale, diagnostic, plan de traitement par gouttière souple et choix d’exercices à refaire à la maison. Le traitement consiste à faire porter les dispositifs toutes les nuits ainsi qu’une à deux heures chaque jour. Selon Dr Joël Gipch, « le plus compliqué, c’est la motivation et l’adhésion de l’enfant (et de ses parents) afin d’obtenir une bonne observance du traitement ». L’assistante dentaire joue un rôle central afin que l’activité ne soit pas trop chronophage pour le chirurgien-dentiste. Bien formée, elle prend le temps d’expliquer aux parents et à l’enfant et enseigne des exercices ludiques à réaliser quotidiennement (respiration nasale, apprentissage de la mastication alternée, rééducation linguale). L’alternative consiste à déléguer la rééducation à un masseur-kinésithérapeute spécialisé dans ce domaine. Ce modèle thérapeutique peut tout à fait s’intégrer dans un exercice classique. L’omnipraticien a la possibilité de coter des semestres d’orthodontie (non opposables) permettant une bonne couverture par la Sécurité sociale. L’idéal : ne pas dépasser deux semestres afin d’en conserver pour la prise en charge classique. Le professionnel de santé adresse ensuite chez un confrère orthodontiste pour finaliser le traitement. S’il se forme, il peut aussi choisir de terminer lui-même le suivi de l’enfant. Marie Dacquin précise que « l’éducation fonctionnelle ne doit pas intervenir à la place du traitement classique, mais bien en complément. Cela permet d’avoir moins de rechutes ou de complications sur le long terme ».
Les malocclusions touchent plus de la moitié des enfants. Les besoins sont immenses. Se former à l’éducation fonctionnelle permet à l’omnipraticien de devenir un acteur majeur dans la détection et le traitement précoce des dysfonctions. Préventive, cette vision permet de faciliter, de raccourcir voire parfois d’éviter les traitements orthodontiques. La stabilité du résultat est optimisée. Se lancer dans cette pratique, valorisante pour le praticien, n’a rien de compliqué. Une bonne organisation permet la prise en charge de beaucoup plus de patients en déléguant des tâches à l’assistante. Tout le monde est gagnant avec cette stratégie !
Améliorer la santé globale du jeune patient
La répercussion des dysfonctions oro-myo-faciales va au-delà des problématiques d’alignement dentaire. « Plus tôt le traitement sera débuté, plus rapidement seront levés les obstacles à un développement harmonieux, non seulement des arcades et du visage, mais de tout l’organisme, souligne le Dr Gipch. Dès l’âge de 3 ans, des problèmes dysfonctionnels non résolus, même légers, s’ancrent et s’aggravent. Ils vont perturber la croissance et provoquer des dysmorphoses irrattrapables en denture permanente. » Une respiration buccale entraîne par exemple une cascade de désagréments. Elle facilite le terrain infectieux (maladie carieuse, affections ORL), entraîne une mauvaise position de la langue, une mastication dysfonctionnelle… Sur le plan postural, on retrouve une antépulsion de la tête et une bascule postérieure de la mandibule. La croissance faciale est perturbée, aboutissant à des faciès de type adénoïdes. Ces patients présentent des facteurs de risques pour l’asthme ou encore l’apnée obstructive du sommeil (SAHOS). Une hyperactivité, des troubles de la mémoire et de la concentration font aussi partie des conséquences possibles et peuvent entraîner des difficultés scolaires. Au final, c’est la qualité de vie du jeune patient mais aussi du futur adulte, qui se trouve mise en péril. « Les omnipraticiens ont un rôle de santé publique. Il est capital de prendre en charge les enfants avant l’âge de 6 ans préalablement à la première visite chez l’orthodontiste », conclut Joël Gipch.
Où se former ?
• UFSBD
Le Dr Marie Dacquin, pédodontiste, propose une formation en éducation fonctionnelle comprenant une journée théorique et une journée de travaux pratiques. Il s’agit d’une formation de découverte et d’aide à la mise en pratique destinée aux omnipraticiens ou orthodontistes souhaitant s’initier.
Plus d’infos : www.ufsbd.fr
• ORTHOPLUS
La société de solutions orthodontiques propose plusieurs formations en éducation fonctionnelle. Les thématiques sont variées : posture, rééducation linguale, soins spécifiques en éducation fonctionnelle, apport de l’hypnose, etc.
Des journées « in-office » au cabinet des Drs Delaborde et Brami à la Ferté-Bernard permettent de mieux intégrer l’éducation fonctionnelle à votre pratique quotidienne. Des ateliers pratiques ainsi que des formations « in-office » sont également dédiés aux assistant(e)s dentaires.
• Le 17 mars 2023 : conférence « Deux jours pour intégrer l’éducation fonctionnelle dans votre cabinet », par le Dr Dacquin et Frédéric Bernard.
• Les 2 mars et 22 juin 2023 : Webinaire « En route vers l’éducation fonctionnelle : 60 minutes pour vous convaincre », par le Dr Joël Gipch.
Plus d’infos : www.orthoplus.fr
Où trouver un masseur-kinésithérapeute spécialisé en rééducation oro-maxillo-faciale ?
Le site de la Siklomf (Société internationale de kinésithérapie linguale oro-maxillo faciale) propose un annuaire de praticiens sur le territoire.
Rendez-vous sur : www.siklomf.fr.